Les effaroucheurs du diable à Nicobar

La première fois que j’ai vu ce type de sculpture, c’était il y a une dizaine d’année au Pitt Rivers Museum. La notice précisait la fonction de l’objet : « Dissuader les esprits malveillants »…
Auparavant, je l’avais remarquée dans le catalogue de vente de la collection André Breton de 2003, un objet étonnant acheté auprès de Charles Ratton, et vendue 90 000 € lors de cette célèbre vente Calmels Cohen. Acquise à l’époque par le futur musée du Quai Branly, elle se trouve maintenant sur le plateau des collections.

Lot 6114, catalogue André Breton, Calmels Cohen, 17 avril 2003

En ce début d’année, l’excellent blog Art of the Ancestors revient sur ces sculptures avec un article de Steven G. Alpert qui fournit une analyse détaillée de celles-ci sur lesquelles je ne m’étais jamais renseignée.
Il se réfère entre autres à un article très fouillé de Susanna Ekholm, « A wooden sculpture of the Nicobar islands » paru en 1963 dans The Brooklyn Museum Annual, Vol. 5 car ce musée recèle un très bel exemplaire acquis là encore auprès de Charles Ratton.

© Brooklyn Museum, Ella C. Woodward Memorial Fund and Museum Collection Fund, 63.57. Photo © Brooklyn Museum, 63.57_SL1.jpg

Ces îles sont situées dans le Golfe du Bengale à un emplacement devenu très tôt stratégique sur les routes commerciales entre l’Inde, l’Indonésie et plus généralement les côtes de l’Asie du Sud-Est.

cartes in « A wooden sculpture of the Nicobar islands »

En fait, ces statues ou henta-koï, bien que terrifiantes par leur visage tant expressif et leur sourire grinçant, ont été réalisées pour aider les chamanes (menluana) à neutraliser les mauvais esprits. Du reste, leur nom signifie « Effrayer le diable » !

Bien des détails questionnent toutefois : que dire de cette sorte de carapace de tortue qu’elles portent sur le dos ? Ou peut-être est-ce une capeline évoquant des élytres repliés, contribuant à accentuer l’aspect de gros insecte ? Ou encore pourquoi leurs bras sont-ils extraordinairement longs ? Pourquoi aussi ce casque à jugulaire, et la peinture rouge vif sur les dents, la langue et les lèvres ?
La plus célèbre de ces sculptures est peut-être celle du British Museum (fig. ci-contre) dont on connait parfaitement les circonstances de collecte avec d’autres statues. Elles ont été obtenues par le capitaine Edye, commandant du HMS Satelite en juillet 1867 lors d’une expédition punitive contre les Nicobarais. En débarquant à Enenonga, l’un des plus grands villages de ces îles, le capitaine Edye découvrit des figures dans des huttes et, à son retour à Singapour, il les donna au major McNair pour qu’il les présente à un musée.

 © The British Museum, As.6170.

D’autres sculptures sont encore associées aux henta-koï, celles que l’on nomme « kareau« , aux formes plus humaines, plus douces et placées à la porte des maisons comme protectrices ; un style qui témoigne peut-être d’influences indiennes qui ont commencé très tôt dans cette région.

Certaines d’entre elles, plus petites, étaient disposées sur des autels.
La coutume d’effrayer les mauvais esprits avec des figurines n’est pas rare dans la culture indonésienne, mais nous avons là affaire à de redoutables « épouvantails » !

 Figure kareau © The British Museum AS1897,1215.4.a-b

Photo 1 de l’autrice au Pitt Rivers Museum, 2016.(1983.71)

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