Qui souhaite voir des objets pillés ?

La semaine dernière, je suis allée à Amsterdam dans un but précis : revoir le Tropenmuseum, rebaptisé comme il se doit Wereldmuseum. Après mon voyage à Nias, j’étais intéressée par les collections indonésiennes que j’avais survolées lors de mes précédents passages en 2013 et 2016, trop occupée par les magnifiques collections de Papouasie Occidentale.
Mais huit ans c’est beaucoup pour notre monde bien pensant. Les musées d’ethnologie occidentaux se sentent à présent coupables de leurs collections pour la plupart acquises en contexte colonial. Traduisez : les objets que vous voulez voir ont été au mieux achetés dans un contexte de dissymétrie économique ou de savoirs, au pire pillés !

Tropenmuseum2013

Il s’ensuit une multiplicité de recherches actuelles sur les provenances afin de clarifier les origines des collections et éventuellement « restituer » des objets devenus honteux pour les Occidentaux.
Entendez bien sûr que je me réjouis de ces travaux menés avec les chercheurs des pays concernés et les musées du monde entier car ce ne sont pas les questions sur les restitutions qui appauvrissent les collections ; au contraire elles enrichissent le propos.
Mais alors qu’est-ce qui vide ces musées ?

Martial Arts

Je pense que, tout occupés qu’ils sont dans ces recherches, les musées d’ethnologie se sont désintéressés de leur mission de présentation des objets des cultures du monde et se sont bien plutôt senti investis d’une nouvelle mission : illustrer sur la place publique des questions sociétales.
Par exemple : Pourquoi les gens pratiquent-ils les arts martiaux ? En combinant histoires personnelles et thèmes sociaux, cela ne constituerait-il pas une exposition qui pourrait occuper toute la moitié d’un étage ?
La réponse est oui. Et pour mieux habiter l’espace, installer un ring de boxe constituerait un acte innovant pour ce vieux musée qui n’avait jamais vu cela !

SARI

Pour l’autre partie de l’étage, pourquoi ne pas créer un studio mode ? Choisissons le sari contemporain, pour justifier le nom de musée des cultures du monde et parce c’est sincèrement un bel objet. Mais ne peut-on aller plus loin que le simple regard ? Peut-on réfléchir au sens et à la déclaration que les créateurs et les porteuses de sari doivent investir dans ce vêtement, en tant que mode, en tant qu’expression de soi ou même comme acte de résistance ?
Et voilà l’étage est bouclé avec ces questions…
Il est temps de redescendre au premier étage, lui aussi immense, occupé par la collection permanente « revisitée » et baptisée « Notre héritage colonial ».

Esclavage

Le sujet est effectivement important et lourd ; et on peut à juste titre s’interroger sur la façon dont le passé joue encore un rôle aujourd’hui. La note d’intention du musée est claire : « Aux Pays-Bas, il y a un besoin croissant d’informations sur le passé colonial et d’améliorer la compréhension de ses implications pour le présent. Au Wereldmuseum Amsterdam, nous sommes conscients de cette partie de notre histoire, et notre mission est de contribuer à un monde plus égalitaire et plus juste. L’une des façons d’y parvenir est de créer la nouvelle exposition permanente, Notre héritage colonial. »
Que nous réservent les conservateurs ?

Vache

Dix salles déclinent dix thèmes sur ces questions. Je vous laisse deviner quel est le thème illustré par l’image ci-dessus.
Beaucoup de photographies, quelques peintures, quelques objets d’artisanat, quelques oeuvres contemporaines.
Beaucoup de Logos
Mais surtout que vos yeux oublient ce que vous avez vu avant : des objets des cultures du monde réalisés par des artistes, des « artefacts » devenus les meilleurs ambassadeurs possibles des peuples malheureusement colonisés qui les ont produits.
Par leur complexité, ils nous forçaient à tenter de comprendre des sociétés au mode de fonctionnement éloigné du nôtre ; par la diversité des matériaux employés, par leurs solutions plastiques déroutantes, ils témoignaient de la créativité de notre humanité.

Tropen2016

Hélas, je crains que le proverbe « Loin des yeux, loin du coeur » ne soit toujours d’actualité. Ces objets, retournés dans les réserves, risquent de tomber à jamais dans l’oubli, nous coupant ainsi de la mémoire et de l’héritage des peuples qui les ont créés.
Il nous restera la repentance dont on s’acharne à bien nous nourrir.

Photo 1 : Figures d’ancêtres de Nias, photo de l’autrice en 2016.
Photo 2 : Vitrine, photo de l’autrice en 2013.
Photo 3 : Vue partielle de l’exposition actuelle sur les arts martiaux, photo © Aad Hoogendoorn.
Photo 4 : Vue partielle de l’exposition sur les saris, photo @ Olivia Witmond.
Photo 5 : Photo d’ensemble des salles sur l’esclavage et « Le racisme existe. Pas la race ». Avec l’œuvre de l’artiste Marlene Dumas au premier plan. Photo © Rick Mandoeng.
Photo 6 : Vue partielle de la salle consacrée à « Richesse d’outre-mer », photo © Rick Mandoeng.
Photo 7 : Photographies de l’autrice en 2016 au Tropenmuseum.

2 commentaires sur “Qui souhaite voir des objets pillés ?

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  1. Bien évidemment que les conditions d’acquisition doivent être questionnées.
    Mais il faut aussi entendre les voix de celles et ceux qui considèrent que le voyage de leurs artefacts dans nos musées occidentaux sont les ambassadeurs de leur culture. Certaines avancent même l’idée qu’ils aient été sauvés de l’oubli.
    Alors, pourquoi les musées conduisent-ils leurs recherches à l’ombre de leurs réserves ?

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  2. Bel et intéressant article sur ce que je crois être l’angle mort de la recherche de provenance… avec ce sentiment douteux et donc questionnable de la repentance, ressenti teintée d’une culpabilité mal venue : il ne s’agit pas d’occulter l’Histoire mais sommes-nous, tout à chacun-e responsable des politiques coloniales, menées il y au moins un siècle (au bas mot) ? L’intérêt des collectes (et donc des musées qui en sont les récipiendaires), pour notre présent, n’est-il pas justement de permettre le lien entre passé et présent tant pour les cultures d’origine que pour nous en Occident, et d’ainsi mieux connaître l’Autre, d’apprécier des solutions et réponses plastiques à des préoccupations universelles (le Beau, la Mort, l’Altérité – divine, naturelle, humaine) ?

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