Il y a beaucoup à explorer dans cette nouvelle exposition du musée Albert Kahn concernant la dernière expédition des Archives de la Planète, financée par Albert Kahn avant sa faillite, celle du Dahomey. On est en 1930.
À cette époque, le Dahomey est une colonie française depuis la guerre de 1894 contre le roi Béhanzin. Le père Francis Aupiais, missionnaire de la Société des missions africaines, arrive sur ce territoire en 1903 avec une volonté affirmée de comprendre les cultures dahoméennes. De retour en France en 1926, il lance une campagne intense pour organiser une mission cinématographique au Dahomey. Son chemin croise alors celui du banquier Albert Kahn et de Frédéric Gadmer, opérateur des Archives de la Planète. Le projet prend forme, et le 1er janvier 1930, Aupiais et Gadmer débarquent à Cotonou. Pendant quatre mois et demi, ils parcourent près de 1600 kilomètres, réalisant 1102 autochromes et 140 bobines de film.

Ces documents visuels, au cœur de l’exposition, abordent des thématiques variées : évangélisation, pouvoir, royauté, vodun, et vie quotidienne des Dahoméens. Mais ce qui rend le parcours particulièrement puissant, c’est l’intégration d’œuvres contemporaines, notamment celles de Roméo Mivekannin. Par ses détournements d’autochromes, il en révèle la face occultée, celle du regard colonial, avec une force bouleversante.
Deux exemples marquants : Celui de « La Mère Mélanie et deux épouses de Glélé, palais royaux d’Abomey »

La religieuse, agrippée au trône de Glélé, incarne une violence symbolique saisissante !
Et encore « Le prince Robert Danha Béhanzin et ses épouses à Djimé ». Ce portrait de groupe nous interpelle par la froideur de son regard. Ce n’est pas seulement le prince qui nous fixe, mais toutes les femmes, dans une posture à la fois digne et interrogatrice. Et puis, il y a l’artiste, dont l’autoportrait se glisse discrètement dans chaque œuvre, comme une présence fantomatique. Ne serait-ce pas là l’écho d’une filiation ? Car Roméo Mivekannin est lui-même un descendant de Béhanzin…

Cette exposition ne se contente pas de retracer une mission ethnographique au Dahomey en 1930 : elle interroge les regards, les récits et les silences de l’histoire coloniale. En confrontant les autochromes d’hier aux œuvres contemporaines, elle révèle les tensions entre mémoire et oubli, entre témoignage et appropriation.
On peut encore citer les photogrammes argentiques de l’artiste contemporaine Sénami Donoumassou et sa série « Akɔ mlă mlă » 2022, qui donne voix à ces agbétô qui ont été filmés ou photographiés. Ces hommes qui étaient des spécialistes de la parole, chargés de réciter de mémoire des récits laudatifs, des généalogies, des épopées royales et des chants de louange.


Le parcours proposé invite à une lecture critique des images et naturellement à une réflexion sur ce que signifie « documenter » un peuple dans un contexte de domination.
Pour aller plus loin, on pourra lire en ligne : Dahomey 1930 : mission catholique et culte vodoun. L’œuvre de Francis Aupiais (1877-1945), missionnaire et ethnographe de Martine Balard
Photo 1 : Marque du plan 380, Djimé, 26 mars 1930. © Frédéric Gadmer